Commentaires sur l’introduction de la deuxième edition revue et corrigée de l’ouvrage “Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie : Nouvelles études d’histoire et de philosophie des sciences” de Georges Canguilhem, publiée en 2000 par J. Vrin, Paris (première édition publiée en 1977 par J. Vrin, Paris).

Georges Canguilhem (1904–1995) est un philosophe et médecin français qui s’est spécialisé en épistémologie et l’histoire des sciences. Il s’intéressait beaucoup aux “idéologies scientifiques”, en particulier dans le domain des sciences de la vie, ce qui l’a mené à écrire “Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie : Nouvelles études d’histoire et de philosophie des sciences”. Dans cet ouvrage Canguilhem développe le concept de “idéologie scientifique”, ce qui est une caractéristique essentielle dans “L’Idéologie allemande” par Karl Marx. On peut donc considérer que Canguilhem réinterprète ce concept Marxist dans son propre ouvrage.

L’introduction de “Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie” est intitulé “Le rôle de l’épistémologie dans l’historiographie scientifique contemporaine” et commence avec une examination des rapports actuelles (en 1977) entre épistémologie et histoire des sciences. Canguilhem prétende que, quant à ce sujet, il existe plus de manifestes ou de programmes que d’échantillons.

Sous le rapport de la chronologie, selon Canguilhem, la discipline philosophique nommé épistémologie en 1854 ne peut attendre rien de l’histoire des sciences, qui est une discipline qui a elle-même une histoire. Cela veut dire que c’est normale que les historiens des sciences du XVIIIe et du XIXe siècles n’avaient mis en œuvre aucun des concepts qui caractérisent le travail des épistémologues à l’époque de Canguilhem.

En citant Dijksterhuis, Canguilhem nous rappel de la métaphore que “l’histoire des sciences n’est pas seulement la mémoire de la science mais aussi le “laboratoire” de l’épistémologie”. Il explique que l’épistémologie s’agit de substituter à l’histoire des sciences les sciences selon leur histoire, mais en ne pas faisant de différence entre les sciences et d’autres aspects de la culture. Les seuls objets d’étude acceptables dans le domaine d’épistémologie sont “des questions de sources, d’inventions ou d’influences, d’antériorité, de simultanéité ou de succession”. Une histoire des sciences pure (sans influences épistémologiques), par contre, réduit une science “à un exposé des rapports chronologiques et logiques entre différents systèmes d’énoncés relatifs à quelques classes de problèmes ou de solutions”.

Canguilhem continue en nous avertissant de l’anachronisme : “L’histoire pure de la botanique au XVIIIe siècle ne peut comprendre sous le nom de botanique rien de plus que ce que les botanistes de l’époque se sont assigné comme leur domaine d’exploration. L’histoire pure réduit la science qu’elle étudie au champ d’investigation qui lui est désigné par les savants de l’époque, et au genre de regard qu’ils portent sur ce champ.”, ce qui provoque Canguilhem à poser une question :

Est-ce que la science du passé est un passé de la science d’aujourd’hui ?

Cette première question fondamentale posé par Canguilhem est traité dans la suite de l’introduction à partir d’un exemple, ce qu’il résume en disant que “le passé d’une science d’aujourd’hui ne se confond pas avec la même science dans son passé”. Cela lui amène à la definition de l’histoire d’une science : c’est “le résumé de la lecture d’une bibliothèque spécialisée, dépôt et conservatoire du savoir produit et exposé”, ce qui signifie que c’est “l’intégralité d’une somme de traces”.

A la fin de l’introduction Canguilhem fait référence à des textes polémiques par des auteurs qui critiquent les programmes déjà explicités, comme Michel Serres qui croit qu’une histoire des sciences n’existe pas, avant d’indiquer que ce sont bien des programmes qui méritent être ajoutés aux autres.

Canguilhem termine son introduction avec la phrase simple et charmante : “En attendant des échantillons.”

Bibliographie
Canguilhem, Georges. Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie : Nouvelles études d’histoire et de philosophie des sciences. Paris: J. Vrin, 2000.
K. Marx et F. Engels. The German Ideology. New York: Prometheus Books, 1998.

Le Système technicien est un ouvrage de l’historien, sociologue et théologien français Jacques Ellul (1912-1994).

La première parution date de 1977, chez Calmann-Lévy, il est réédité en 2004, puis en 2012 au cherche midi, c’est sur l’introduction de cette dernière édition que se base cet article.

Jacques Ellul est né à Bordeaux, le 6 janvier 1912, et y a passé la majorité de sa carrière universitaire. Il devient chargé de cours des Facultés de Droit en 1937, puis est révoqué par le gouvernement de Vichy en 1940, il devient professeur titulaire en 1945. Il a écrit plus d’une cinquantaine d’ouvrages et de nombreux articles sur les thèmes de : l’éthique chrétienne de notre société, mais également sur la sociologie dans la société technicienne moderne, ce dernier thème faisant l’objet de notre article.

Dans l’introduction de son ouvrage « le système technicien », Jacques Ellul démontre que la technique est la grande clé de compréhension et de catégorisation. En effet, qu’ils s’agissent de « société bureaucratique » de « société de consommation » ou encore de « société d’abondance » tout est d’abord une affaire de techniques, pour la « société de consommation », il explique sont point de vue en écrivant « Qu’est-ce qui exige que l’on consomme plus ? La production de masse, laquelle n’est possible que grâce à la technique. » Ou encore, « la société de consommation est d’abord caractérisée, sous tous ses aspects par des techniques diverses. ». Il justifie son point de vue à chaque fois par le même procédé en montrant que la technique précède toujours.

Il s’attaque également à la conception de certains auteurs qui veulent voir dans les sociétés humaines des mégamachines fonctionnant parfaitement grâce à un système mécanique où les êtres humains seraient réduit au rang de simples rouages, pour illustrer son désaccord avec cette vision il écrit «   C’est qu’en réalité, il ne faut pas confondre système technicien et société technicienne. Le système existe dans sa rigueur, mais il existe dans la société, vivant à la fois en elle, d’elle, et greffé sur elle. Il y a dualité exactement comme entre la Nature et la Machine – celle-ci fonctionne grâce à des produits naturels : mais elle ne transforme pas la nature en machine. La société est elle aussi, un « produit naturel ». À un certain niveau, culture et nature s’interpénètrent, formant la société, en un ensemble qui devient une nature pour l’homme. Et c’est dans ce complexe que vient se situer comme un corps étranger, envahissant et irremplaçable, le système technicien. Il ne fait pas de la société une machine. » Pour lui la Technique est le facteur déterminant de la société néanmoins comme il l’écrit plus tard que ce facteur n’est pas le seul facteur.

Jacques Ellul termine son introduction sur une mise en garde visant le courant Néo-Utopistes, selon lui, il tendrait à vouloir faire rentrer l’humanité dans la mégamachine précédemment critiquée, il y voit un danger potentiel et insiste sur le fait que « l’Utopie est dans la société technicienne, l’horizon de la technique. Rien de plus. »  

Retour sur la préface de la seconde édition du texte “L’institution de la science et l’expérience du vivant, méthode et expérience à l’Académie Royale des Sciences 1666-1793″ de Claire Salomon Bayet.

L’ouvrage initial a été publié en 1978, la seconde édition et la préface datent quant à eux de 2007.

Claire Salomon-Bayet, née en 1932, et morte à Paris le 9 octobre 2016, est philosophe des sciences, professeure émérite à la Sorbonne, spécialiste de Rousseau, Pasteur et Cournot.

Elle a contribué à de nombreuses publications et équipes de recherche, et a entre autre dirigé la Revue d’Histoire des Sciences de 1991 à 2000. Elle a soutenu sa thèse en 1976 sous la direction de George Canguilhem dont elle explique qu’il a fait naître sa passion pour la philosophie des sciences.

Dans la préface de son livre, écrite 30 ans après sa publication initiale, elle revient sur de nombreux enjeux, en lien avec l’histoire des sciences en général, les différentes approches dans le domaine et l’histoire de la biologie.

Elle revient dans un premier temps sur l’évolution de l’histoire des sciences en France durant les 30 ans qui séparent les deux éditions de son ouvrage. Elle note ainsi un succès et un intérêt croissant pour la discipline, avec un nombre accru de publication, de revues, de collections éditoriales qui s’y intéressent: “Un indicateur de ce changement est donné par l’édition”. Elle attribue cela entre autre au statut ambivalent de l’histoire des sciences, à la fois discipline d’étude et enjeux, en ce qu’elle “éclaire singulièrement ce que nous vivons aujourd’hui”, notamment dans le monde imprégné de technologies dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Elle déplore néanmoins le statut toujours marginal de la discipline, qualifiant ceux qui la pratiquent de “transfuges”, “hybrides” et même “bâtards”. Elle y voit en effet des dissidents de formation disciplinaire (philosophique, historique) concentrés sur un sujet à part, transverse. Cela induit selon elle des difficultés pour le chercheurs pour se positionner, malgré un nombre croissant de publications et d’équipes de recherches dédiées.

Bien qu’abordant une approche plutôt externaliste “Rapport au temps, rapport au lieu également”, Claire Salomon Bayer semble se méfier des dérives de ce mode d’étude:  “À l’avance étaient désamorcées les oppositions à venir entre les tenants du concept et
ceux du « programme fort », lequel réduisait l’activité scientifique à une affaire de négociation dans laquelle l’enjeu n’est pas la vérité, mais une forme de pouvoir (1). “

La dernière partie de la préface est consacrée à l’ouvrage en lui même, consacré aux premiers développements de ce que l’on nomme aujourd’hui “biologie” en France, au sein de l’Académie Royale des Sciences. Elle revient longuement sur les points de vocabulaire cruciaux pour la période, notamment la distinction entre démonstration et expérience.

Enfin, elle conclue sa préface en instistant sur la valeur patrimoniale des lieux de savoirs, en redonnant à l’histoire des sciences sa place centrale: “Loin d’être marginale, l’histoire des sciences est aujourd’hui au cœur de notre modernité”.