“Depuis plus d’un siècle la notion de “nuisible” fait l’objet d’une contestation de plus en plus vive. Pourtant elle connaît une singulière persistance sociale en tant que concept opérationnel qui donne aux hommes une certaine légitimité pour gérer, et souvent détruire, certaines espèces. A l’heure où la France vient d’adopter la loi sur la reconquête de la biodiversité, la question des “nuisibles” reprend une singulière acuité avec […] les vives controverses qui demeurent autour du loup, du renard […]. ¹»

Cette introduction aux actes du colloque « Sales bêtes ! Mauvaises gerbes ! « Nuisible », une notion en débat » dirigé par Rémi Luglia au début 2017 à Paris nous indique d’emblée plusieurs choses.

On y retrouve l’idée que la notion de nuisible découle d’une vision antropocentrée de la nature : un « nuisible » l’est parce qu’il gène, dérange les humains.

La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages²  est citée, en effet elle a entre autre remplacé dans le code de l’environnement les notions d’« animaux malfaisants ou nuisibles » pour les remplacer par celles d'”animaux susceptibles d’occasionner des dégâts“ , ou d’ « espèces non domestiques ». Cette évolution dans les textes reflète une évolution dans les mentalités, et une volonté de préserver toute la biodiversité, « utile » et « inutile ».

Le terme de reconquête apparaissant ici est le pendant « passif » de la réintroduction d’espèces. Avec ces deux termes on note l’idée d’un retour, de voir réapparaitre sur un territoire des organismes vivants qui y étaient présents auparavant,.Ils en ont été activement chassées, parce que jugés nuisibles ou simplement progressivement repoussés par l’artificialisation et le fractionnement des milieux.

Ces dynamiques de « transfert à des fins de sauvegarde » sont encadrées par un ensemble de ligne directrices proposées³ par un groupe d’experts de l’IUCN (Union Internationale de Conservation de la Nature, ONG associée à l’ONU).

En France, de grands projets emblématiques et médiatiques ont commencé depuis les années 7à, parmi lesquels :

• Le vautour dans le Parc National des Cévennes dès 1980
• Le lynx en Alsace dès 1985
• L’Ours dans les Pyrénées, pour lequel des campagnes de réintroductions sont encore effectuées (deux ourses slovènes ont été relâchées à l’été 2018)

Ces projets font rarement l’unanimité et rencontrent le plus souvent des résistances importantes, notamment de par les acteurs de terrain, chasseurs et éleveurs⁴. L’adhésion de la population est pourtant cruciale pour la réussite de telles actions « (…) l’expérience montre que le succès ou l’échec de ces opérations (…) sont bien souvent liés à la question de leur acceptabilité par les populations humaines concernées. »⁵

C’est pour cette raison que la sensibilisation du public est essentielle. Les muséums trouvent ici une place toute prête, pour participer de la réussite de ces projets de protection et de reconstitution de la nature. Les mouvances actuelles et les innovations en matière de muséographie vont dans ce sens, avec une vraie volonté de la part des acteurs de participer à cette dynamique.

Les animaux naturalisés sont l’un des principaux objets d’étude des muséums,aux cotés des collections botaniques conservées notamment en herbiers, des collections minérales et paléontologiques et des collections ethnologiques lorsqu’il y en a. Ils sont aussi l’une des grandes attractions de ces musées, notamment pour les publics les plus jeunes.

A la fois objets d’étude pour la recherche, et objets de médiation scientifique vers les visiteurs du musée, ces animaux sont porteurs de nombreux messages.

On peut les considérer à plusieurs niveaux, reflet à la fois de l’espèce naturelle présentée et du travail du taxidermiste qui a travaillé à la mettre en scène, de la manière la plus réaliste possible.

Un animal dans son milieu peut présenter de nombreuses attitudes, parmi lesquelles le taxidermiste fait son choix pour monter les pièces. De ses observations, dessins, photographies, il va s’efforcer de reproduire le plus fidèlement possible l’animal vivant, dans une posture choisie.

Ce choix est porteur d’un message sur l’animal présenté, qui sera reçu par les chercheurs qui les étudient, comme par les visiteurs.

Ainsi, un animal systématiquement présenté tous crocs dehors sera perçu comme« nuisible », « hostile », « méchant »,tandis que d’autres pourront avoir l’air « chapardeur »,« moqueurs »… tant de sentiments humains qui ont été bien longtemps attribués à des animaux.

Cette image renvoyée est importante à bien des niveaux. Aux yeux du grand public elle peut contribuer à renforcer l’image « d’animal à abattre »de certaines espèces (loup, renard…), et pour l’étude elle risque d’influencer le ressenti des chercheurs, et inconsciemment d’orienter leurs travaux.

De plus, elles ne sont souvent pas représentatives de l’attitude la plus commune de l’animal (aucun animal n’est en permanence en position de défense),voire le représentent dans un milieu ou une posture qui n’est pas la sienne (telles qu’un chat sauvage dans un arbre).

Les Muséums d’Histoire Naturelle font aujourd’hui de nombreux efforts pour contrecarrer cette tendance. Ainsi, tous les travaux de taxidermie récents vont privilégier des postures plus naturelles, neutres (et souvent scientifiquement plus justes) : au repos, en déplacement…

Les pièces anciennes encore en expositions sont quant à elles souvent accompagnées d’explications, permettant de les remettre en contexte et de mieux comprendre pourquoi elles sont présentées ainsi.

Les équipes de médiation font elles aussi un travail très important pour aider les publics à relativiser, et reconsidérer ces pièces pour ce qu’elles sont : des fabuleux outils d’études et de questionnement, et non une représentation de l’animal dans son ensemble.

Les muséums d’Histoire Naturelle occupent une place à part dans le paysage des musées français.

Ils ont été développés principalement en Europe, et dans les empires coloniaux au cours du XIX^e  siècle.

En France, le premier est le Muséum National d’Histoire Naturelle, qui ouvre ses portes à Paris en 1793 en continuité du Jardin Royale des Plantes Médicinales et du Cabinet du Roy. Celui de Nantes, lieux de terrain de ces recherches, sera quant à lui inauguré dès l’année 1810.

L’histoire des muséums d’histoire naturelle français est le reflet d’une part du passé colonial de la France, et d’autre part de l’évolution des sciences naturelles.

Au XIX^e  siècle, les collections se constituent grâce aux « grandes explorations », et accueillent aussi bien les objets naturels (plantes, animaux, minéraux) que des artefacts recueillis auprès des populations autochtones. Les sociétés naturalistes peuvent ainsi profiter des expéditions colonialistes pour enrichir leur collections, mais aussi être à l’initiative de missions exploratoires dont les motivations naturalistes serviront ensuite d’appui à l’administration coloniale.

Ce mélanges de collections naturelles et anthropologiques est aujourd’hui controversé, entre autre du fait de l’image « sauvage » et « animale » qu’il renvoie des peuples qui ont subi la colonisation.

Cette accumulation de collections permet de familiariser le public et les chercheurs les grandes découvertes de l’époque, et de témoigner de la grandeur de l’empire et des expéditions Françaises. La richesse des collections garantie le rayonnement scientifique de ces institutions, et sert tout autant de vitrine publicitaire pour les nouveaux territoires colonisés.

Il faut toutefois noter que les collections présentent également des collections naturelles locales, sauvages (il est rare d’y retrouver des espèces domestiques) qui présentent également un aspect « exotique » pour le public urbain qui visite ces musées.

Les sociétés des sciences du XIX^e  siècle et les musées d’histoires naturelle qu’elles ont contribué à créer ont un rôle prépondérant dans la développement des sciences naturelles.

Les expositions des muséums sont ainsi à la fois le reflet de l’état des sciences naturelles à une époque donnée (et évoluent ainsi pour intégrer des notions de systématique, d’écologie…) et le lieu d’avancées scientifiques majeures. Ce sont ainsi à la fois des lieux d’exposition pour le grand public, et des lieux de recherche à destination des savants.

Cette double mission a influencé la présentation des objets présentés. Ainsi, à la fin du XIX^e , une distinction s’opère entre la réserve, réservée aux savants et les lieux d’exposition publiques.

L’objectif est de pouvoir toujours proposer aux savants des collections « exhaustives » permettant l’ étude des espèces, tout en offrant au grand public des expositions thématiques, plus attractives et “ludiques”.

Cette évolution s’accompagne de nouvelles pratiques de taxidermie, pour présenter des pièces plus dynamiques, correspondant mieux aux attentes du grand public. Ces aspects sont donc incontournables pour la suite de l’étude.